Aux Etats-Unis, le lobbying agressif de TikTok contre un nouveau projet de loi


Jeudi 7 mars, des millions d’utilisateurs de TikTok aux Etats-Unis ont vu s’afficher un étonnant message dans l’application de vidéos. « Empêchez la fermeture de TikTok » leur enjoignait le réseau social, avant d’expliquer plus longuement : « Le Congrès prévoit un bannissement total de TikTok. Exprimez-vous maintenant avant que votre gouvernement ne prive 170 millions d’Américains de leur droit constitutionnel à la liberté d’expression. Cette mesure va porter atteinte à des millions d’entreprises, détruire les moyens de subsistance de nombreux créateurs dans tout le pays et priver des artistes de leur audience. Faites savoir au Congrès ce que TikTok signifie pour vous et dites-leur de voter non. »

La raison de ce message extrêmement inhabituel ? Le vote d’un texte de loi, jeudi 7 mars, par une commission de la Chambre des représentants, une des deux composantes du parlement américain. S’il était définitivement adopté, le texte obligerait ByteDance, la maison mère chinoise de TikTok, à céder le contrôle capitalistique de son application, faute de quoi elle pourrait se voir interdite sur le territoire américain.

Un très visible bouton rouge « Appelez maintenant » concluait le message affiché sur TikTok. Après l’avoir pressé, l’utilisateur se voyait réclamer son code postal, l’application l’utilisant ensuite pour retrouver le numéro de téléphone de son député et lui proposer de l’appeler d’un seul clic. Pour se débarrasser de ce message et utiliser l’application normalement, il fallait, selon un porte-parole de l’entreprise, le faire glisser vers la droite. Un geste que n’ont sans doute pas pensé à faire bon nombre d’utilisateurs, plus habitués à progresser dans l’application à coups de pouce vers le haut.

Des députés submergés d’appels

Résultat : les téléphones de bon nombre de membres de la Chambre des représentants ont été totalement submergés. Des proches de plusieurs députés ont affirmé anonymement au New York Times avoir reçu des centaines voire des milliers d’appels. « On a dû éteindre nos téléphones. Ce qui signifie que nous pourrions manquer les coups de fil d’électeurs qui ont besoin d’une aide urgente pour quelque chose » se lamente par exemple, auprès du site Axios, le membre de l’équipe d’un député démocrate.

La loi votée jeudi par la commission de la Chambre est loin d’être définitivement adoptée : elle doit d’abord être validée par l’entièreté de la Chambre des représentants avant d’aller au Sénat, où plusieurs textes concurrents sont également examinés. Elle réunit cependant des soutiens de la majorité et de l’opposition (elle a été adoptée en commission à une inhabituelle unanimité), ainsi que celui de la Maison Blanche.

« Ce texte est un bannissement pur et simple de TikTok, quel que soit le camouflage que ses auteurs veulent lui appliquer, a déclaré l’entreprise dans un communiqué. Cette législation foulerait aux pieds les droits de 170 millions d’Américains issus du premier amendement [qui protège la liberté d’expression] et priverait cinq millions de petites entreprises d’une plate-forme dont ils ont besoin pour grandir et créer des emplois. » Un avis partagé par la principale organisation américaine de défense de la liberté d’expression, l’Union américaine pour les libertés civiles, qui s’est dite « profondément déçue que nos politiciens échangent le premier amendement contre de vulgaires points politiques pendant une année électorale ».

Une stratégie risquée

La décision de prendre ses usagers à partie pourrait cependant se retourner contre l’application. « J’imagine que, quand vous avez un milliard de dollars, vous pouvez imaginer une stratégie d’affaires publiques farfelue. Mais il va y avoir un retour de flamme, ces appels et la désinformation ont rendu les députés fous furieux » a confié un membre de l’équipe d’un élu républicain à Axios.

« Voilà un exemple d’une application contrôlée par un adversaire qui ment au public américain et interfère avec le processus législatif d’une manière bizarre et qui justifie notre argument », a tempêté Mike Gallagher, un des deux auteurs de la loi. Raja Krishnamoorthi, l’autre coauteur, a quant à lui dénoncé « une campagne de propagande massive dépeignant faussement notre législation comme un bannissement total. Ce n’en est pas un. Nous voulons que TikTok reste disponible, mais avec un nouveau propriétaire. Notre priorité, c’est de libérer TikTok de l’influence du Parti communiste chinois pour protéger les consommateurs et les petites entreprises américains. »

La question de l’influence voire du contrôle exercé par la Chine sur l’application est une menace existentielle pour TikTok puisque de nombreux gouvernements, aux Etats-Unis et en Europe, la citent régulièrement pour justifier des mesures coercitives. En 2020, l’administration Trump avait tenté de bannir l’application, lançant un affrontement devant les tribunaux avant que le gouvernement de Joe Biden ne fasse marche arrière. L’Etat du Montana a même tenté en 2023 de bannir totalement l’application, une initiative bloquée pour le moment par la justice.

Le Monde

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